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Il était une fois... les vicissitudes du Musée d’Architecture du Pays de Liège

Actualités du CAD

Lors de l’Exposition rétrospective d’architecture civile liégeoise organisée au Musée des Beaux-Arts en 1916, l’idée fut émise de créer au sein de l’institution des salles d’architecture, afin d’y présenter dessins, relevés, plans, maquettes, moulages, photographies… L’objectif était de rassembler les informations relatives à toute construction présentant un intérêt artistique bien établi, qu’elle appartienne à l’architecture religieuse ou civile, urbaine ou rurale. Cette suggestion se concrétisa, le 5 mars 1917, par une délibération du Conseil communal qui instituait également une Commission du Musée d’Architecture du Pays de Liège. Elle était composée de membres de droit : l’échevin des Beaux-Arts, le directeur de l’Académie des Beaux-Arts, l’architecte de la Ville et celui de la Province, le président de l’Association des Architectes de Liège, le président de l’Association des Anciens Élèves de l’Académie des Beaux-Arts. Y siégeaient également les initiateurs, Edmond Jamar et Paul Jaspar, respectivement président et secrétaire de ladite commission, mais aussi Joseph-Maurice Remouchamps, alors secrétaire du Musée de la Vie wallonne, et Jean Servais, conservateur des Musées Curtius et d’Ansembourg. D’autres les rejoindront : les architectes Camille Bourgault, Gustave Charlier, Paul Comblen, Maurice Devignée, Maurice Legrand, Albert Puters, Paul Tombeur ou encore, le sculpteur Oscar Berchmans et l’archiviste Eugène Beauduin.

La Commission du Musée d’Architecture concentra ses efforts sur la collecte de fonds d’archives graphiques et photographiques (tirages, diapositives de projection, vues stéréoscopiques), ainsi que sur la création d’une bibliothèque spécialisée. Les collections étaient constituées d’éléments caractéristiques des particularités régionales de l’architecture et de l’art du mobilier en Wallonie, mais aussi de nombreux moulages (clés de voûte, motifs ornementaux…). L’institution bénéficia de dons et de legs, souvent consentis par des architectes sensibles à cette mission de sauvegarde. Paul Jaspar, devenu président de ladite Commission, procéda à plusieurs dons entre 1932 et 1942 : une série de briques de foyer du XVIIsiècle, des fuseaux d’escaliers, dessins et maquettes, ses dossiers d’architecture, sa bibliothèque et sa photothèque, ses archives, ses recherches archéologiques et ses croquis, ses écrits, ses dessins, pastels, aquarelles et eaux-fortes, son mobilier professionnel, son équipement photographique. De nombreux objets récupérés par la Ville de Liège lors de transformations ou de démolitions d’immeubles vinrent enrichir les collections : plafond à voussettes (1), escaliers (2), boiseries, portes et mobilier (3), cartels armoriés en bois sculpté, cheminées (manteaux, trumeaux et taques) (4), pavés dits de Delft, carrelages anciens, bacs de fontaine, bas-reliefs et colonnes en pierre (5), balcons, ferrures, pentures et heurtoirs, volets, lucarnes, pans de bois, torchis…

1. Rare plafond à voussettes décorées de rinceaux polychromés.

 

 

2. Escalier à balustres.

3. Boiseries et mobilier du XVIIIe siècle.

 

4. Cheminée en marbre de Saint-Remy et mobilier.

   

 

5. Colonnes et bas-reliefs figurant la Vierge et saint Lambert, intégrés dans les jardins.

  

 

Dans un premier temps, les collections furent provisoirement installées dans les sous-sols de l’Académie. Dès 1918, Paul Jaspar dessina le projet d’agrandissement du Musée des Beaux-Arts, situé à l’époque rue des Anglais, en vue de l’installation définitive du Musée d’Architecture. Le budget communal ne put malheureusement supporter l’investissement nécessaire à la réalisation de cette vaste conception. En 1929, les collections trouvèrent abri dans un local de la nouvelle école de la rue de Pitteurs. En 1930, le projet de les transférer en Hors-Château, dans l’hôtel de Grady, resta sans suite. À partir de 1937, elles furent « stockées » dans l’hôtel Brahy, en Féronstrée. Il fallut attendre 1968 pour qu’une volonté politique permette d’acquérir et de restaurer l’ancien béguinage du Saint-Esprit (6-7), puis concrétise l’exploitation des richesses accumulées pendant six décennies. En 1976, le Musée d’Architecture et son centre de documentation purent enfin s’installer impasse des Ursulines, dans un complexe de bâtiments du XVIIe siècle : l’ancien béguinage et le relais de postes, sis jadis rue Saint-Jean-Baptiste et admirablement réédifié sur le site (8). L’année suivante, l’institution accueillit le studio Eugène Ysaye, ensemble mobilier Art nouveau dessiné par Gustave Serrurier-Bovy, superbe évocation du lieu de travail du célèbre violoniste et de son génie créateur (9-11).

6. Ancien béguinage du Saint-Esprit, bâtiments du XVIIe siècle caractéristiques du style mosan.

7. Jardin en terrasse, agrémenté de colonnes et pierre armoriée.

8. Ancien relais de poste, situé jadis rue Saint-Jean-Baptiste 11.

9. Studio Eugène Ysaye, offert par la famille à la ville natale de l’artiste. D’abord installé au conservatoire, il a intégré le deuxième étage du relais de poste en 1977.

 

10. Serrure et poignée en laiton de la porte en bois exotique donnant accès au studio du violoniste.

   11. Lustre (cuivre, laiton, tissu et verre), création de Gustave Serrurier-Bovy.

La rigueur budgétaire incita à la fermeture du musée en 1990 et à la location d’une partie des bâtiments. Les collections archéologiques furent disséminées dans les divers musées communaux. Le Centre de Documentation d’Architecture trouva ses marques à la bibliothèque Chiroux-Croisiers. En 2005, la Ville de Liège en confia la gestion au Centre d’Archives et de Documentation de la CRMSF, implanté au Vertbois. Aujourd’hui, le studio Eugène Ysaye est réinstallé au Grand Curtius. Quant aux bâtiments loués, ils ont connu diverses affectations : Musée de la Chine, restaurant et, actuellement, brasserie.

Nous ne pouvions laisser passer ce centenaire sans rendre hommage à ceux qui ont œuvré pour la création du Musée d’Architecture, institution éphémère certes, mais dont une part essentielle des collections continue à nourrir la recherche en histoire de l’architecture à Liège.

 Monique Merland
Documentaliste
 

Pour en savoir plus sur l’histoire du béguinage, du musée, du studio, ainsi que sur ses collections, nous vous invitons à consulter :

  • Eugène Beauduin, Les futures collections publiques : le Musée d’Architecture du Pays de Liège, le Musée de la Vie wallonne, le Musée de la rue Hors-Château, Liège, 1929.
  • Ann Chevalier, Béguinage du Saint-Esprit à Liège, Musée de l’Architecture, dans Maison d’Hier & d’Aujourd’hui, n° 36, décembre 1977, p. 2-21.
  • Ann Chevalier, Au Studio Eugène Ysaye à Liège : un intérieur Art nouveau, Liège, Mardaga, 1982, (Musées vivants de Wallonie et de Bruxelles, 2).