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Il était une fois… le patrimoine campanaire durant la Deuxième Guerre mondiale : la sauvegarde (2e partie)

Actualités du CAD

Le président de Commission pour la Sauvegarde des Cloches en est son initiateur, le colonel Joseph de Beer (1887-1953), conservateur du Musée Sterckshof à Deurne et président du Cercle archéologique d’Anvers. Forte personnalité aux solides connaissances artistiques et linguistiques, il est mandaté pour négocier des accords avec le lieutenant-colonel Heinz Rudolf Rosemann et devient l’interlocuteur des Allemands. Impliqué dans la Résistance, il est habité d’une volonté farouche de mettre obstacle aux réquisitions par des moyens clandestins non violents, comme la communication de renseignements falsifiés, la dissimulation ou le vol de cloches pour les mettre à l’abri, le sabotage du matériel utilisé pour les descendre, le détournement de camions ou de wagons lors des transferts vers les dépôts... Le secrétaire de la commission est Charles Leeman, attaché à l’Administration des Beaux-Arts au Ministère de l’Instruction publique. Les membres sont Jozef Muls (1882-1961), directeur général des Beaux-Arts au Ministère de l’Instruction publique, ancien conservateur du Musée des Beaux-Arts d’Anvers, Léopold Grimonpont (1886-après 1959), directeur général des Cultes au Ministère de la Justice, Stan Leurs (1893-1973), conseiller général au Commissariat général à la Restauration du Pays, ingénieur architecte, docteur en histoire de l’art et membre de la Commission royale des Monuments et Sites (CRMS), ainsi que le bénédictin dom Joseph Kreps (1886-1965), musicologue, également chargé de l’inventaire des orgues. Quant à la CRMS, elle y est représentée par l’architecte Max Winders (1882-1982) ; il est en charge de la Flandre occidentale et plus particulièrement de la Côte. Jean Squilbeck (1906-1989), attaché à la section des métaux aux Musées royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles, délégué du Ministère de l’Instruction publique, est également très actif, notamment dans le Brabant et le Hainaut (1). La commission dispose d’un bureau dans chaque chef-lieu de province ; elle tient des séances bimensuelles. Elle noue des relations avec de nombreux cercles d’histoire et d’archéologie.

1. La Commission de Sauvegarde des Cloches : Dom J. Kreps, S. Leurs, L. Grimonpont, J. Muls, J. de Beer, M. Winders, J. Squilbeck, C. Leeman (de gauche à droite). D’après Mededelingen van de Geschied- en Oudheidkundige Kring voor Leuven en omgeving, t. 33, 1993, p. 120.

Le président de Beer confie à Hélène van Heule (1885-1960) (2), conservatrice des Musées archéologiques liégeois (Musées Curtius et d’Ansembourg), la mission d’organiser le recensement des cloches dans les provinces de Liège, Limbourg, Luxembourg et Namur. À Liège, elle est épaulée entre autres par Camille Bourgault (1889-1962) (3), architecte, conseiller provincial pour la Conservation des Monuments et membre correspondant de la CRMS, par Joseph Philippe (1919-2006), historien de l’art aux Musées royaux d’Art et d’Histoire, chargé du service photographique des monuments historiques et des œuvres d’art dans la province de Liège, et par Harry Schuermans (1920-2004), étudiant en architecture à Saint-Luc, membre de l’Institut archéologique liégeois ; elle obtient également l’aide ponctuelle de membres du personnel des Ateliers Jaspar. Pour la province de Luxembourg, elle s’assure la collaboration d’Arsène Geubel (1913-2010), historien féru d’archéologie. La mission s’appuie aussi sur la participation de militaires et de membres du clergé.

2. Hélène van Heule (1885-1960). D'après Chronique archéologique du Pays de Liège, t. 51, 1960, p. 6.

3. Carte de conseiller au Commissariat général à la Restauration du Pays au nom de Camille Bourgault (1889-1962). © Liège, Centre d’Archives et de Documentation de la CRMSF, fonds de la Ville de Liège.

Toutes les cloches, à l’exception de celles répertoriées Lx et D, sont saisies. Celles de la catégorie A sont immédiatement envoyées en Allemagne, par voies navigables ou ferrées (4). Les autres sont stockées dans les divers dépôts disséminés sur l’ensemble du territoire, qui seront vidés successivement (5) ; les Hauptlager étant Schaerbeek, Anvers et Liège. À la fin de l’opération, il ne subsiste qu’un dépôt, celui de l’île Monsin. Après le 22 juillet 1944, des cloches et des battants seront entreposés dans la cour du Musée Curtius, qui deviendra un centre actif dans leur redistribution (6).

4. Durant l’été 1943, au dépôt de l’avant-port de Bruxelles, chargement de cloches à destination de l’Allemagne dans des wagons de la Deutsche Reichsbahn. © IRPA-KIK, Bruxelles.

5. Cloches réquisitionnées et stockées dans le Lager de Bruxelles, durant l’été 1943. © IRPA-KIK, Bruxelles.

6. Le 20 mars 1945, des cloches provenant de l’île Monsin arrivent au Musée Curtius, escortées par des soldats américains ; elles sont réceptionnées par les « Clochards » Hélène van Heule et Joseph Philippe. D’après Si Liège m’était conté…, n° 60, 1976, p. 16.

Au total, 7.600 cloches belges ont été détruites et 727 sauvées de la destruction. Pour fêter le retour de celles expédiées à Hambourg, une cérémonie est organisée à Anvers, le 8 octobre 1945 (7), en présence d’autorités militaires, gouvernementales et religieuses. Les cloches ont été restituées aux paroisses dépouillées et remises en place (8).

7. Invitation à la cérémonie organisée à Anvers, le 8 octobre 1945, pour le retour des cloches en provenance d’Allemagne. © Liège, Centre d’Archives et de Documentation de la CRMSF, fonds de la Ville de Liège.

8. Cérémonie du 5 novembre 1945, à Liège, pour le retour des cloches. Le colonel Joseph de Beer, président de la Commission pour la Sauvegarde des Cloches, prend la parole ; à sa droite, Mgr Kerkhofs, évêque de Liège. D’après Si Liège m’était conté…, n° 60, 1976, p. 17.

Notre Centre d’Archives et de Documentation conserve les archives de Camille Bourgault. Ce fonds, dépôt de la Ville de Liège, recèle notamment deux chemises contenant relevés, croquis et courriers échangés à l’occasion de ce recensement, ainsi que deux dossiers ayant pour objet le Commissariat général à la Restauration du Pays. Ces humbles documents laissent entrevoir le rôle singulier joué dans notre province par la Commission pour la Sauvegarde des Cloches et par « Les Clochards », groupement de la Résistance civile reconnu par arrêté du Régent du 7 juin 1949.

Monique Merland
Documentaliste
 
Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter :

Thibaut Boudart, Inventaire du fonds de Beer (Président de la Commission pour la Sauvegarde des Cloches 1943-1945) AA 1330, [Bruxelles], 2000.

Thibaut Boudart, Saisie et retour des cloches : inventaire des photos, fonds Joseph de Beer (AA 1330), [Bruxelles], 2000.

Harry Schuermans, Les cloches dans la tourmente, 3éd., Soulme, 1998.

Micheline Zanatta, Une action de résistance originale lors de la Deuxième Guerre mondiale : le sauvetage des cloches en Belgique, Seraing, 2009, (Analyse de l’Institut d’Histoire ouvrière, économique et sociale, 54), p. 1-5.

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